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Dénigrement et Diffamation

par Michel RASLE, Hedwige CALDAIROU, Lucas SEGAL

Un arrêt récent, qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence, vient rappeler la difficulté de choix du fondement des poursuites lorsqu’est en cause la critique de l’activité d’une entreprise par un tiers. La tentation est alors de poursuivre sur le fondement du dénigrement, qui peut être défini comme le fait de jeter publiquement le discrédit sur les produits ou services d’une entreprise. En effet, l’action en dénigrement fondée sur le droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle – n’est pas soumise aux difficultés procédurales qu’induit la poursuite sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui contient les principales répressions de la liberté d’expression, et notamment la diffamation.

Or, et c’est un des grands principes protecteurs de la liberté d’expression, les abus de cette liberté prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil, socle de la responsabilité civile de droit commun. Dans une matière où l’erreur de fondement peut être fatale à la procédure, quelle stratégie doit être mise en œuvre par l’entreprise désireuse de protéger son image ? L’arrêt rappelle que lorsque la réputation de l’entreprise est atteinte par des propos, la loi du 29 juillet 1881 conserve sa prééminence (I) alors que lorsque la critique vise les produits ou service de la société, il convient de se fonder sur le dénigrement (II).

I – L’atteinte à la réputation d’une société doit être poursuivie sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Au visa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, la Cour de cassation commence sa motivation par rappeler que « Il résulte de ce texte qu’une atteinte à la réputation d’une 1 Cour de Cassation, Assemblée plénière, du 12 juillet 2000, 98-10.160, Publié au bulletin personne physique ou morale, qui est constitutive de diffamation, ne peut relever que des dispositions de la loi susvisée. » On rappellera que l’article précité dispose :

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. (…) Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »

Sans rappeler l’ensemble des conditions à satisfaire pour qu’une diffamation ou une injure soit constituée, on mentionnera la condition préalable et commune aux deux infractions : le propos doit viser une personne, physique ou morale (comme une société). Or, les produits et services ne jouissant a priori pas de la personnalité morale, il est clair qu’ils ne sont pas susceptibles d’être protégés sur le fondement de la diffamation ou de l’injure, ce qui explique notamment qu’ils restent protégeables sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun.

En revanche, les entreprises, personnes morales, doivent impérativement agir sur le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 lorsque seule leur réputation est en jeu.

Dans l’espèce rapportée, une société d’énergies renouvelables était violemment attaquée par une concurrente qui avait répandu en ligne des contenus (publications écrites, photomontages) hostiles qui la dépeignaient comme société menteuse et manipulatrice. Elle souhaitait faire retirer ces contenus en référé.

La demanderesse avait mobilisé la faute civile de dénigrement, peut-être pour pallier la prescription de certains des propos ou leur absence de satisfaction à des conditions constitutives des infractions de la loi du 29 juillet 1881.

La Cour de cassation a désapprouvé la Cour d’appel d’avoir donné raison à la demanderesse, dès lors qu’il s’agissait là non pas d’une atteinte aux produits et services de la société victime des propos d’une concurrente mais d’une atteinte à sa réputation.

Pour la Cour de cassation, les faits décrits ne pouvaient donc être poursuivis que sur le fondement de la diffamation. Si en revanche seule la critique des produits et services avait été en cause, il aurait alors été possible d’agir sur le fondement du dénigrement, qui est soumis à un régime procédural plus clément.

II – La critique des produits et services : le dénigrement doit être privilégié

Agir sur le fondement du dénigrement peut en effet se révéler plus confortable.

Pour ne prendre que cet exemple, on rappellera la différence de prescription existant entre l’action sur le fondement de la diffamation ou de l’injure qui est réduite à trois mois à compter de la publication des propos quand l’action sur le fondement du dénigrement se prescrit par cinq ans.

Sans doute était-ce une des motivations de la demanderesse qui avait peut-être laissé passer la prescription de l’action sur le fondement de l’article 29 de la loi de 1881, au moins pour une partie des propos ?

Le dénigrement fait en effet figure d’exception et reste la seule faute assise sur l’article 1240 du code civil à résister à la prééminence de la loi du 29 juillet 1881 et à ses pièges procéduraux.

Sur le fond, on l’a vu, le dénigrement se caractérise par le fait de jeter publiquement le discrédit sur les produits ou services d’une entreprise. Elle peut également se matérialiser dans « la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent ». Le dénigrement peut prendre le pas sur la diffamation y compris lorsqu’il s’agit d’une appréciation globale négative des produits d’un acteur économique.

Il n’est pas nécessaire qu’il existe une situation de concurrence commerciale entre les parties.

Il est parfois malaisé de déterminer si l’atteinte touche les produits ou services de l’entreprise ou cette entreprise elle-même, étant rappelé que ce choix est déterminant pour l’existence même de la procédure.

La critique des produits et services d’une entreprise rejaillit en général sur celle-ci puisque la dépréciation de ses produits ou services impacte indéniablement de manière négative sa réputation.

De la même manière, le consommateur aura tendance à opérer une confusion entre la mauvaise réputation d’une entreprise et la mauvaise qualité de ses produits ou services.

Dans ces conditions, l’interprétation par la société demanderesse ou plaignante des propos qu’elle poursuit et leur présentation dans l’acte introductif sera déterminante de la conviction du juge sur la qualification à retenir.

Cette présentation sera susceptible de laisser plus ou moins de place à l’argumentation du contradicteur qui recherchera une requalification si cela lui est favorable (par exemple une requalification en diffamation pour se prévaloir de la courte prescription qui lui est attachée), afin d’obtenir la nullité de l’assignation.

En agissant sur le fondement du dénigrement, il conviendra donc de faire preuve d’une particulière vigilance en évitant, par exemple, la mention d’atteinte à la réputation de l’entreprise puisqu’il y aurait un risque que la responsabilité civile s’efface devant la loi du 29 juillet 1881 avec pour conséquence de devoir s’astreindre à ses règles procédurales.

Dans l’espèce commentée, l’argumentation portant sur la requalification en diffamation a prospéré, laissant la société demanderesse, pourtant violemment attaquée par sa concurrente, sans autre recours puisque la prescription de l’action en diffamation avait, à la date de l’arrêt de cassation, largement été acquise. On notera enfin, ce qui rend la voie du dénigrement encore plus délicate, que toute appréciation négative d’un produit n’est pas nécessairement fautive, la place étant ouverte par la jurisprudence à une critique mesurée et loyale.